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Le régime de l’audition libre du mineur censuré par le Conseil constitutionnel

Pénal - Procédure pénale
08/02/2019
Le Conseil constitutionnel censure les dispositions de l’article 61-1 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 27 mai 2014, en ce qu’elles ne sont pas suffisantes pour garantir au mineur l’effectivité de l’exercice de ses droits dans le cadre d'une enquête pénale.
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité transmise par la Chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. crim., 27 nov. 2018, n° 18-90.026 ; voir Renvoi d’une QPC sur l’audition libre du mineur, Actualités du droit, 04/12/2018), le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur la conformité constitutionnelle de l’article 61-1 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 27 mai 2014 (L. n° 2014-535, 27 mai 2014, JO 28 mai), portant transposition de la Directive du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales (Dir. (UE) n° 2012/13/UE, 22 mai 2012, JOUE n° L 142/1, 1er juin).
Rappelons qu’il était reproché à ces dispositions d’être contraires au principe d’égalité devant la procédure pénale garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en ce qu’elles ne prévoient pas, lorsqu’un mineur soupçonné d’avoir commis une infraction est entendu librement au cours d’une enquête pénale, des garanties équivalentes à celles qui sont prévues lorsqu’il est entendu dans le cadre d’une garde-à-vue. De plus, en ne prévoyant pas, notamment, qu’un mineur entendu librement bénéficie de l’assistance obligatoire d’un avocat et d’un examen médical et que ses représentants légaux sont informés de la mesure, ces dispositions contreviendraient au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs.
 
Sur le fond, le Conseil constitutionnel rappelle, sans surprise, la portée du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs. Ainsi, « l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du vingtième siècle ». Il est également rappelé, ici comme ailleurs (voir par ex. Cons. const., 21 sept. 2012, n° 2012-272 QPC, JO 22 sept.), que « toutefois, la législation républicaine antérieure à l’entrée en vigueur de la Constitution de 1946 ne consacre pas de règle selon laquelle les mesures contraignantes ou les sanctions devraient toujours être évitées au profit de mesures purement éducatives » et que « en particulier, les dispositions originelles de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante n’écartaient pas la responsabilité pénale des mineurs et n’excluaient pas, en cas de nécessité, que fussent prononcées à leur égard des mesures telles que le placement, la surveillance, la retenue ou, pour les mineurs de plus de treize ans, la détention ».
 
Le Conseil constitutionnel s’attache ensuite au sens des dispositions contestées. Pour mémoire, en application de l’article 61-1 du Code de procédure pénale, la personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction peut, au cours de l’enquête pénale, être entendue librement sur les faits. L’audition ne peut avoir lieu que si la personne y consent et si elle n’a pas été conduite, sous contrainte, devant l’officier de police judiciaire. En outre, la personne ne peut être entendue qu’après avoir été informée de la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction, du droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue, du droit d’être assistée par un interprète, du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions ou de se taire, de la possibilité de bénéficier de conseils juridiques dans une structure d’accès au droit et, si l’infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, du droit d’être assistée au cours de son audition par un avocat. Elle peut accepter expressément de poursuivre l’audition hors la présence de son avocat.

Et, comme le constate le Conseil constitutionnel, l’audition libre se déroule selon ces mêmes modalités lorsque la personne entendue est mineure et ce, quel que soit son âge. Or, « les garanties précitées ne suffisent pas à assurer que le mineur consente de façon éclairée à l’audition libre ni à éviter qu’il opère des choix contraires à ses intérêts ».
Il en résulte qu’ « en ne prévoyant pas de procédures appropriées de nature à garantir l’effectivité de l’exercice de ses droits par le mineur dans le cadre d’une enquête pénale, le législateur a contrevenu au principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs ».

L’article 61-1 du Code de procédure pénale est donc déclaré contraire à la Constitution. Toutefois, l’abrogation immédiate du texte aurait pour effet de supprimer les garanties légales encadrant l’audition libre de toutes les personnes soupçonnées, majeures ou mineures et entraînerait donc des conséquences manifestement excessives. Les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité sont donc modulés dans le temps et l’abrogation reportée au 1er janvier 2020.
Source : Actualités du droit