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Demande d’exécution d’un jugement : précisions sur l’application du principe du contradictoire

Public - Droit public général
20/12/2023
Dans le cadre d’une demande d’exécution d’un jugement, si les éléments produits pendant la phase d’instruction administrative ne doivent pas être visés et analysés par la décision statuant sur cette demande d'exécution, le juge est tenu de les verser au dossier en cas d’ouverture d’une procédure juridictionnelle, afin de permettre aux parties d’en débattre contradictoirement. Tel est le principe posé par le Conseil d’État dans une décision rendue le 21 novembre 2023.
Dans une décision du 21 novembre 2023 (n° 466680), le Conseil d’État est venu apporter des précisions sur les éléments devant être soumis au contradictoire dans le cadre d’une demande faite à un tribunal administratif ou à une cour administrative d’appel de faire assurer l’exécution d’un jugement.
 
Le traitement d’une demande d’exécution d’un jugement se décompose en effet en deux phases, d’abord, une phase administrative, qui est une phase amiable, puis, éventuellement, une phase juridictionnelle (voir Le Lamy contentieux administratif n° 856 - Instruction de la demande d'exécution d'un jugement).
 
Dans sa décision, mentionnée aux tables du recueil Lebon, la Haute juridiction annonce que si les éléments produits pendant la phase d’instruction administrative ne doivent pas être visés et analysés par la décision statuant sur la demande d'exécution, le juge est tenu de les verser au dossier en cas d’ouverture d’une procédure juridictionnelle, afin de permettre aux parties d’en débattre contradictoirement.
 
Textes applicables :

CJA, art. L. 911-4 : « En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander à la juridiction, une fois la décision rendue, d'en assurer l'exécution (…) ».

CJA, art. R. 921-5 : « Le président de la cour administrative d'appel ou du tribunal administratif saisi d'une demande d'exécution sur le fondement de l'article L. 911-4, ou le rapporteur désigné à cette fin, accomplissent toutes diligences qu'ils jugent utiles pour assurer l'exécution de la décision juridictionnelle qui fait l'objet de la demande. Lorsque le président estime qu'il a été procédé à l'exécution ou que la demande n'est pas fondée, il en informe le demandeur et procède au classement administratif de la demande ».

CJA, art. R. 921-6 : « Dans le cas où le président estime nécessaire de prescrire des mesures d'exécution par voie juridictionnelle, et notamment de prononcer une astreinte, ou lorsque le demandeur le sollicite dans le mois qui suit la notification du classement décidé en vertu du dernier alinéa de l'article précédent et, en tout état de cause, à l'expiration d'un délai de six mois à compter de sa saisine, le président de la cour ou du tribunal ouvre par ordonnance une procédure juridictionnelle. (...) ».

Le Conseil d’État déclare qu’il résulte de ces dispositions que « lorsqu'un tribunal administratif ou une cour administrative d'appel est saisi d'une demande d'exécution sur le fondement de l'article L. 911-4 du même code, le caractère contradictoire de l'instruction de la demande ne s'applique qu'à la phase juridictionnelle ouverte, le cas échéant, par ordonnance du président de la juridiction ». La première phase, à savoir la phase administrative, n’est donc pas soumise au principe du contradictoire.
 
Éléments devant être versés au dossier en vue d’un débat contradictoire

Il ajoute : « Ainsi, les écritures produites, notamment par l'administration, pendant la phase d'instruction administrative ne constituent pas des mémoires devant, lorsqu'une procédure juridictionnelle a été ouverte, être visés et analysés par la décision statuant sur la demande d'exécution en application de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ».
 
Toutefois, si la phase administrative n’est pas soumise au contradictoire, et si seule la phase juridictionnelle l’est, les parties doivent être mises à même de débattre de façon contradictoire des éléments produit durant la phase administrative. Le Conseil annonce ainsi : « Il appartient en revanche au juge, après l'ouverture de la procédure juridictionnelle, de les verser au dossier de cette procédure et de permettre ainsi aux parties d'en débattre contradictoirement ».
 
Dans cette affaire, qui concernait un retrait de points du permis de conduire, le ministre de l’Intérieur avait constaté la perte de validité du permis du requérant et lui avait enjoint de le restituer. La décision avait été annulée par le TA pour illégalité du retrait de points. Le requérant avait ensuite saisi le TA d’une demande d’exécution du jugement. Le président du tribunal avait, par ordonnance, ordonné l’ouverture d’une procédure juridictionnelle, puis avait ensuite, par un jugement, enjoint au ministre de rétablir les points illégalement retirés. Le Conseil d’État était saisi d’un pourvoi en cassation du ministre.
 
En l’espèce, au cours de la phase d’instruction, le ministre avait produit des observations tendant à établir qu’il avait exécuté le jugement. Après l’ouverture de la procédure juridictionnelle, une mise en demeure de produire un mémoire en défense lui avait été adressée. Le ministre soutient que le jugement est irrégulier car il ne vise pas les éléments qu’il avait transmis pendant la phase d’instruction, et donc avant l’ouverture de la phase juridictionnelle. Le Conseil répond qu’il n’est pas fondé à soutenir que le jugement serait irrégulier pour cette raison. Toutefois, annonce le Conseil, il appartenait au juge, « après l'ouverture de la procédure juridictionnelle, de verser ces éléments au dossier de cette procédure et, compte tenu des échanges contradictoires, d'en tenir compte ».
 
Ainsi, il considère que le tribunal a méconnu son office « en s'abstenant de verser ces éléments au dossier de la procédure juridictionnelle afin qu'ils puissent être débattus contradictoirement et pris en compte ». Le ministre est par conséquent fondé à demander l’annulation du jugement.
 
Source : Actualités du droit