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La semaine du droit public général (côté Cour de cassation)

Public - Droit public général
14/09/2020
Présentation des dispositifs des derniers arrêts publiés au Bulletin civil de la Cour de cassation, en droit public général.
Redevances pour atteintes aux ressources en eau – compétence de la juridiction administrative
« Selon l'arrêt attaqué (Caen, 15 novembre 2018), Monsieur X (l'exploitant) est exploitant agricole sur la commune de Chérencé-le-Roussel, aux droits de laquelle se trouve la commune de Juvigny-les-Vallées (la commune).
Contestant le montant de la facture établie le 17 décembre 2012 par la commune au titre de la consommation d'eau pour les besoins de son exploitation, l'exploitant a assigné la commune aux fins d'obtenir sa rectification. Il a demandé, en outre, le remboursement par la commune de la redevance pour pollution de l'eau pour les années 2008 à 2012.
L'exploitant a été condamné au paiement de la facture litigieuse et sa demande de remboursement a été rejetée
(…) Vu l'article 76, alinéa 2, du Code de procédure civile, la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et l'article L. 213-10 du Code de l'environnement :
Selon le premier de ces textes, le moyen pris de l'incompétence du juge judiciaire peut être relevé d'office par la Cour de cassation.
Selon le troisième, en application du principe de prévention et du principe de réparation des dommages à l'environnement, l'agence de l'eau établit et perçoit auprès des personnes publiques ou privées des redevances pour atteintes aux ressources en eau, au milieu marin et à la biodiversité et, en particulier, des redevances pour pollution de l'eau.
Ces redevances constituent, par leur nature, des impositions dont le contentieux ressortit à la compétence de la juridiction administrative.
Pour rejeter la demande de remboursement de la redevance pour pollution de l'eau, l'arrêt retient que, si l'exploitant n'en était pas débiteur, dès lors que le branchement litigieux alimentait exclusivement l'abreuvoir situé sur sa parcelle et que les abreuvoirs et branchements de pré sont exonérés du paiement de cette taxe par l'annexe II de la circulaire no 6/DE du 15 février 2008 relative à l'application des redevances prévues aux articles L. 213-10-1 et suivants du Code de l'environnement, la commune se bornait à collecter la redevance qui lui était réclamée pour le compte de l'agence de l'eau Seine-Normandie à laquelle cette somme était reversée et qui était seule concernée par la demande de remboursement.
En statuant sur cette demande qui ne relevait pas de sa compétence, la cour d'appel a excédé ses pouvoirs et violé les textes susvisés
».
Cass. 1re civ., 9 sept. 2020, n° 19-12.235, P+B*
 
 Police de l’eau et des milieux aquatiques – juge compétent
« Selon l’arrêt attaqué (Lyon, 2 avril 2019), rendu en référé, le Syndicat intercommunal des Rossandes (le SIVU) a confié à la société Suez eau France (la société Suez) l’exploitation de la station de traitement et d’épuration des Rossandes, en vue d’assurer le traitement, à titre principal, des eaux usées domestiques et, à titre résiduel, des rejets industriels déversés par les entreprises établies sur le territoire des communes membres de ce syndicat intercommunal à vocation unique.
Après avoir procédé à des prélèvements et analyses qui ont mis en évidence une pollution du cours d’eau « La Brévenne » à la sortie de la station de traitement et d’épuration, la Fédération départementale du Rhône et de la métropole de Lyon pour la pêche et la protection du milieu aquatique (la fédération) a, d’une part, alerté le préfet du Rhône qui, par arrêté du 24 août 2018, a mis en demeure le SIVU de prendre diverses mesures destinées à faire cesser la pollution, selon un calendrier déterminé, d’autre part, assigné le SIVU et la société Suez, ainsi que la société Provol et Lachenal, dont l’activité nécessite l’usage d’eau, aux fins de voir ordonner la cessation des rejets d’effluents outrepassant les prescriptions réglementaires, invoquant le trouble manifestement illicite en résultant. La société MMA IARD assurances mutuelles (la société MMA) est intervenue volontairement à l’instance en sa qualité d’assureur de la société Provol et Lachenal.
(…) Vu la loi des 16-24 août 1790, le décret du 16 fructidor an III et les articles L. 171-8, L. 214-1 et L. 216-1 du code de l’environnement :
Il résulte de la combinaison de ces textes que le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires s’oppose à ce que le juge civil ordonne des mesures qui contrarient les prescriptions que l’autorité administrative a édictées, dans l’exercice de ses pouvoirs de police de l’eau et des milieux aquatiques, à la suite de l’inobservation des dispositions applicables aux installations, ouvrages, travaux et activités réalisés à des fins non domestiques par toute personne physique ou morale, publique ou privée, et entraînant des prélèvements sur les eaux superficielles ou souterraines, restitués ou non, une modification du niveau ou du mode d’écoulement des eaux, la destruction de frayères, de zones de croissance ou d’alimentation de la faune piscicole ou des déversements, écoulements, rejets ou dépôts directs ou indirects, chroniques ou épisodiques, même non polluants.
Pour ordonner à la société Suez de cesser le rejet d’effluents outrepassant les prescriptions fixées par le récépissé de déclaration du 27 juin 2008, à compter du 1er octobre 2018 et sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de cette date, après avoir constaté que les prélèvements et analyses réalisés établissent que les eaux traitées rejetées par la station de traitement et d’épuration des Rossandes n’étaient pas conformes aux prescriptions réglementaires, l’arrêt énonce que cette pollution constitue un trouble manifestement illicite qu’il appartient au juge des référés de faire cesser, sans avoir à examiner la question de la compétence en matière de police administrative.
En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si l’injonction qu’elle prononçait ne contrariait pas les prescriptions de l’arrêté pris le 24 août 2018 par le préfet du Rhône, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ».
Cass. 1re civ., 9 sept. 2020, n° 19-17.271, P+B*
 
Rupture brutale des relations commerciales – EPIC – Tribunal des conflits
« Selon l'arrêt attaqué (Paris, 28 juin 2019), la société Entropia-conseil, qui a pour activité le conseil en organisation et en management d'entreprises, a réalisé diverses prestations pour le compte de l'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) SNCF réseau, en exécution de bons de commande soumis aux stipulations du cahier des clauses générales applicables aux marchés de prestations intellectuelles du groupe SNCF.
Elle a saisi le tribunal de commerce de Paris, sur le fondement des articles L. 442-6, I, 5o, et L. 420-1 et suivants du Code de commerce, aux fins d'obtenir la condamnation des EPIC SNCF réseau et SNCF à l'indemniser des préjudices qu'elle aurait subis du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales établies et de pratiques anticoncurrentielles.
Les EPIC SNCF réseau et SNCF ont soulevé une exception d'incompétence au profit de la juridiction administrative.
(…) Vu l'article 35 du décret no 2015-233 du 27 février 2015 relatif au Tribunal des conflits et aux questions préjudicielles :
Lorsque la Cour de cassation est saisie d'un litige qui présente à juger, soit sur l'action introduite, soit sur une exception, une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse et mettant en jeu la séparation des ordres de juridiction, elle peut renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence. L'instance est suspendue jusqu'à la décision de ce Tribunal.
Le présent litige, qui n'entre pas dans le champ du transfert de compétence au profit de la juridiction judiciaire résultant de la combinaison des articles L. 410-1, L. 464-7 et L. 464-8 du Code de commerce, limité au contentieux relatif aux décisions rendues par l'Autorité de la concurrence en matière de pratiques anticoncurrentielles, présente à juger une question de compétence soulevant une difficulté sérieuse. En effet, si, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle le fait de rompre brutalement une relation commerciale établie engage la responsabilité délictuelle de son auteur (Com., 6 février 2007, pourvoi no 04-13.178,
Bull. 2007, IV, no 21 ; Com., 18 octobre 2011, pourvoi no 10-28.005, Bull. 2011, IV, no 160), l'action engagée par la société Entropia-conseil à l'encontre des EPIC SNCF réseau et SNCF paraît ressortir à la juridiction judiciaire, le caractère administratif des marchés antérieurement passés entre les parties, retenu par les juges du fond au regard de certaines de leurs clauses, pourrait conduire à admettre la compétence de la juridiction administrative pour en connaître, dès lors que le Conseil d'Etat et le Tribunal des conflits ont reconnu, en cette matière, un effet attractif de compétence au contrat administratif, cependant limité à la seule phase précontractuelle (CE, 19 décembre 2007, société Campenon-Bernard e.a., no 268918, Rec.
p. 507 ; TC, 16 novembre 2015, Région Ile-de-France, no 4035). Il y a lieu, en conséquence, de renvoyer au Tribunal des conflits le soin de décider sur cette question de compétence, en application de l'article 35 du décret susvisé ».
Cass. 1re civ., 9 sept. 2020, n° 19-21.955, P+B*

 
*Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 14 octobre 2020
 
Source : Actualités du droit