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Covid-19 : les bons et (surtout) mauvais points de la commission de suivi du Sénat en matière de contrôle du confinement

Pénal - Informations professionnelles, Vie judiciaire
30/04/2020
La mission de suivi du Sénat a publié son deuxième rapport d’étape sur la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire. Un audit est précisément consacré au contrôle du confinement et aux difficultés rencontrées par les forces de sécurité intérieure. 
Depuis le 23 mars 2020, date de promulgation de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, la mission de suivi du Sénat s’assure que les restrictions apportées aux libertés pendant la crise sont nécessaires et proportionnées à la réalité de la situation et aux exigences de l’efficacité. Un premier rapport a d’ailleurs été publié le 2 avril 2020 (v. Covid-19 : le Sénat favorable à une application prudente des mesures liées à l’état d’urgence, Actualités du droit, 6 avr. 2020). Un deuxième point d’étape sur la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire vient d’être diffusé le 29 avril (Sénat, Mission de suivi de la loi d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, 29 avr. 2020).
 
« Sans formuler, à ce stade de leurs travaux, de conclusions définitives, les co-rapporteurs sont en mesure d’effectuer une première série de constats » est-il précisé dans le rapport.
 
Mais s’agissant des forces de sécurité, le constat est clair : elles sont fortement sollicitées depuis le début de l’état d’urgence sanitaire, de manière prioritaire pour le contrôle des attestations assurant le respect du confinement, mais pas seulement.
 

Une mobilisation importante
Le Sénat relève que les policiers et gendarmes ont procédé à 15,5 millions de contrôles et dressé 915 000 contraventions à la date du 23 avril, sachant que les sanctions représentent un peu moins de 6 % des contrôles. Le ministre de l’Intérieur a tenu à « saluer l’exemplarité du comportement des Français » et à rappeler que ce contrôle n’a pas pour objectif « de faire du chiffre mais de protéger les Français ».
 
Pour renforcer les effectifs et assurer ce contrôle, la loi urgence a élargi le champ des personnes à même de constater les infractions, à savoir : les gardes champêtres, les agents de la police municipale, les agents de la ville de Paris et les contrôleurs relevant du statut des administrations (L. n° 2020-290, 23 mars 2020, JO 24 mars, art 2). En pratique, la mission de suivi du Sénat souligne que d’autres, comme les compagnies républicaines de sécurité, les agents de la police aux frontières et services de la police judiciaire et les unités judiciaires, forces de gendarmerie mobile, militaires de la garde républicaine ainsi que plusieurs centaines d’élèves policiers et gendarmes ont été chargés de cette mission.
 
La mission du Sénat relève cependant que « si elle a été facilitée par la baisse tant de l’activité judiciaire que des besoins en matière d’ordre public, cette mobilisation exceptionnelle a également nécessité une priorisation des missions, se traduisant notamment par un report du traitement des affaires judiciaires concernant les faits jugés les moins graves ».
 
 
Le port de masque : une doctrine qui interroge
Malgré cette forte mobilisation, policiers et gendarmes manquent depuis le début du confinement de matériels de protection pour assurer leurs missions. « Les syndicats représentatifs de la police nationale se font l’écho, depuis le début du confinement, de l’inquiétude des personnels sur le terrain quant à l’insuffisance des moyens de protection sanitaire mis à leur disposition dans le cadre des opérations de contrôle » précise le rapport du Sénat. En effet, depuis le début du confinement, « les syndicats de policiers dénoncent régulièrement le manque de masques et réclament leur utilisation systématique pour protéger les fonctionnaires de police » comme le déclare le Syndicat Alliance.
 
L’intersyndicale avait même lancé un avertissement solennel au ministre le 26 mars, prévenant que « si les moyens de protection font défaut dans les services, les policiers ne feront que les missions réellement urgentes et ne procéderont plus au contrôle du confinement ».
 
Le Sénat relève néanmoins une amélioration certaine depuis : des masques ont été commandés et ont fait l’objet de dons, des lunettes et visières de protection ont été déployées, etc.
 
Pour autant, la mission relève qu’ « en dépit de ce déploiement de moyens nouveaux et des prévisions de dotations complémentaires à venir, aucune évolution de la doctrine d’emploi n’est à ce jour envisagée ». La règle : recourir aux masques uniquement dans des situations de contact avec une personne présentant des symptômes ou dans des hypothèses où des risques particuliers sont identifiés.
 
Pour la mission de suivi, « le ministre de l’Intérieur s’en est largement remis au « discernement » des fonctionnaires civils et militaires engagés dans cette mission pour décider par eux-mêmes de porter un masque lorsqu’un contrôle les mettrait en présence d’une personne présentant des signes de Covid-19 – ce qui postule d’ailleurs qu’ils aient un accès facile à ce type de protection... ». Cela pousse le Sénat à s’interroger sur cette « doctrine surprenante ». Comment déceler un risque de contagion alors que certaines personnes sont asymptomatiques ? Pourquoi ne pas développer le port du masque alors qu’à partir du 11 mai il sera généralisé ?
 
Comme élément de réponse, « la commission n’exclut pas qu’au-delà des arguments scientifiques avancés par le ministre, la réticence à faire évoluer la doctrine continue d’être justifiée par des lenteurs dans la livraison des commandes et la distribution, en tous points du territoire, des protections ».
 
Mais l’objectif immédiat pour la mission : que les forces de sécurité soient massivement dotées de masques, visières et gels hydroalcooliques, mais également qu’elles « voient leur accès aux tests de dépistage assuré de manière appropriée ».
 
Il n’empêche que les intéressés, à l’instar d’Alternative Police CFDT, dénoncent la gestion de la crise et annonçaient le 6 avril qu’il est « indéniable que cette crise, une fois passée, devra faire l’objet de commissions d’enquête parlementaire, d’un retour d’expérience de l’ensemble des professionnels de santé et de secours de terrain afin d’établir les défaillances du dispositif mais également les responsabilités des différents donneurs d’ordre y compris d’un point de vue pénal ».
 

Problèmes procéduraux
Au-delà de ces difficultés, « il ressort des travaux de la mission que les services de police et de gendarmerie se seraient heurtés, dans l’application des sanctions pénales, à des difficultés procédurales importantes, qui reflètent la précipitation dont le Gouvernement a fait preuve sur ce sujet à l’occasion de l’examen du projet de loi d’urgence ». Ceci concerne notamment la mise en œuvre de la gradation des sanctions pénales.
 
En effet, l’application des sanctions pénales est soumise à un principe de gradation, système qui a pour objectif de les « rendre à la fois pédagogiques et dissuasives ». Le ministère de l’Intérieur a donc dû mettre en place des moyens permettant de vérifier si l’auteur était dans une situation de réitération ou non.
 
 
Bonnes ou mauvaises attestations ?
La mission relève le sentiment général d’une appréciation parfois hétérogène des comportements autorisés ou non. Si le taux d’infraction est de moins de 6 %, il n’en reste par moins que le contrôle des attestations est compliqué. 
 
En effet, la marge de manœuvre des forces de l’ordre quant à l’appréciation de la réalité des infractions pose des difficultés. Le « discernement » peut « donner lieu à une trop grande variété d’interprétations du bien-fondé des attestations de dérogation ». Les attestations sur l’honneur « « difficiles » voire « impossibles » à vérifier » soulignait Alternatif police CFDT le 17 mars.
 
D’autant plus qu’en parallèle, un décret du 28 mars (D. n° 2020-357, 28 mars 2020, JO 29 mars, v. Non-respect du confinement : des amendes forfaitaires en cas de récidive, Actualités du droit, 3 avr. 2020) permet aux forces de l’ordre de prononcer des amendes forfaitaires pour des contraventions de la cinquième classe, pourtant soumises à l’appréciation du tribunal de police.
 
La ligue des Droits de l’Homme avait réagi sur ce point le 10 avril dans une lettre ouverte dénonçant des contrôles et verbalisations abusifs, notamment du fait d’une interprétation arbitraire de la notion de « première nécessité ». Certains membres des forces de l’ordre procèdent à une inspection visuelle des sacs, pourtant non autorisée par les textes. La ligue des droits de l’Homme donne ainsi l’exemple d’un homme verbalisé pour ne pas avoir recopié tous les motifs de sortie sur son attestation sur papier libre. 
 
Le Sénat liste également quelques situations similaires, à l’instar d’une personne verbalisée pour s’être rendue à un supermarché situé à 5 km de son domicile, qui n’est pas le plus proche. Pourtant aucune règle n’impose d’aller au supermarché le plus proche.
 
La mission insiste aussi sur le fait que « de telles situations contribuent à alimenter l’incompréhension de certains de nos concitoyens et pourraient, si elles venaient à se répéter, peser sur l’intelligibilité des mesures et l’adhésion aux mesures prescrites par le Gouvernement qui limitent, au quotidien, leur liberté d’aller et venir ».
 
Les représentants de la conférence nationale des procureurs sont sur la même ligne et insistent sur le fait que les forces de l’ordre procèdent « à une analyse critique au cas par cas des motifs allégués par les personnes contrôlées, ce qui est totalement inhabituel en matière conventionnelle où, logiquement, le comportement incriminé est factuellement simple à caractériser ».
 
 
Un guide clair attendu
Le Premier ministre a affirmé au président de la commission que les forces de sécurité intérieure avaient reçu des directives pour la mise en œuvre des contrôles.
 
Pour autant, la mission de suivi du Sénat relève que celles transmises à la police nationale « se limitent principalement à un rappel du cadre réglementaire applicable et à une présentation des modalités procédurales et logistiques de réalisation des contrôles (organisation des contrôles et des patrouilles, recours au procès-verbal électronique, modalités de contrôle de l’attestation de déplacement électronique, etc.) et ne comportent que peu d’éléments pour assister les agents dans l’interprétation du cadre réglementaire, en particulier relatif aux déplacements dérogatoires autorisés ».
 
Du côté de la gendarmerie, les instructions ont été diffusées via une fiche réflexe, mise à jour à huit reprises. Le Sénat demande cependant que soit fourni aux forces de sécurité « un vrai vademecum ».
 
 
Une régularisation du fichier d’accès au dossier des contraventions tardive ?
Le non-respect du confinement est verbalisé par procès-verbal électronique qui alimente le système de contrôle automatisé et son interface de consultation d’accès au dossier des contraventions. Un fichier qui ne concernait, initialement, que les auteurs d’infractions au Code de la route.
 
Utilisée « sans s’assurer de la régularité de l’élargissement des finalités de ce fichier à ce type d’utilisation », l’irrégularité de la consultation a été soulevée à plusieurs reprises pour des personnes condamnées en cas de non-respect de confinement.
 
Solution qui a dû être régularisée puisque la validité de certaines contraventions était affectée. Le 14 avril, le gouvernement a alors rectifié la base réglementaire. « Il en résulte que l’inscription des contraventions jusqu’à cette date était dépourvue de base légale », déplore le Sénat. 
 
Alors, quid des procédures engagées antérieurement à la régularisation ? La mission annonce que « par courrier du 29 avril, le ministre de l’Intérieur a indiqué à la commission que « par dépêche du 17 avril 2020, la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice a (...) précisé que les enregistrements effectués dans le fichier SCA et son interface ADOC n’étant subordonnés à aucune condition de temporalité, les données qui y sont conservées pourront concerner des procédures établies avant l’entrée en vigueur de l’arrêté modifiant l’arrêté du 13 octobre 2004 ».
 
Pour autant, « la commission observe toutefois que cette interprétation ne préjuge en rien de l’appréciation des juridictions de l’ordre judiciaire. Elle accordera, en conséquence, une attention particulière à ce point dans la suite de ses travaux ».
 
 
Des contrôles difficiles
La mission relève, enfin, que les conditions de contrôle peuvent être plus ou moins complexes selon les zones. « À cet égard, le directeur général de la police nationale a indiqué que si les faits constatés d’outrages, de rébellions et de violences sur les policiers connaissaient une baisse à l’échelle nationale, les agents étaient en revanche, dans certains quartiers, de plus en plus régulièrement confrontés à des attroupements hostiles au confinement lors des opérations de contrôle », précise la mission de suivi du Sénat.
 
Du côté de la gendarmerie nationale, une augmentation sensible des agressions physiques et verbales est à souligner et reflète un contact parfois conflictuel dans le cadre des opérations de contrôle.
 
Source : Actualités du droit