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Détention provisoire : la répartition de la charge de la preuve relève-t-elle du droit de l’Union européenne ?

Pénal - International, Procédure pénale
14/01/2020
Une question préjudicielle a été posée à la Cour de justice de l’Union européenne concernant une législation nationale qui subordonne la remise en liberté d’une personne placée en détention provisoire à l’établissement, par cette dernière, de l’existence de circonstances nouvelles la justifiant. La Cour est venue apporter des précisions. 
Un homme est accusé d’appartenir à un groupe criminel organisé et d’avoir commis un assassinat. Il est placé en détention le 11 juin 2016. Il est renvoyé devant le tribunal pénal spécialisé de Bulgarie le 9 novembre 2017.
 
À partir du 5 février 2018, l’intéressé a présenté sept demandes de remise en liberté, toutes rejetées « au motif que les arguments qu’il avait présentés n’étaient pas suffisamment convaincants au regard des exigences du droit national ». Lors de l’audience tenue par le tribunal, il en présente une autre.
 
La juridiction rappelle qu’ « à la suite du renvoi devant un tribunal d’une personne placée en détention provisoire en vue d’être jugée, ce tribunal doit effectuer, au préalable, un contrôle du bien-fondé de cette détention ». Si la détention est jugée légale, elle devra se poursuivre sans limitation de temps et ne sera pas réexaminée d’office par la suite. Mais aussi, pour que le détenu soit remis en liberté, il doit formuler une nouvelle demande en apportant la preuve de l’existence de circonstances nouvelles permettant de justifier sa libération.
 
Les juges vont estimer qu’il est improbable que l’intéressé puisse apporter une telle preuve et établir un changement de circonstances justifiant sa remise en liberté. Néanmoins, « cette juridiction doute toutefois de la compatibilité de la législation bulgare avec l’article 6 et le considérant 22 de la directive 2016/343, en tant que ces dispositions pourraient être interprétées comme imposant de faire supporter à l’accusation la charge de la preuve du bien-fondé du maintien de la personne concernée en détention provisoire, ainsi que comme ne permettant d’admettre des présomptions en faveur de ce bien-fondé que si ces dernières sont raisonnablement proportionnées au but poursuivi et prennent en compte les droits de la défense ». De plus, il est rappelé qu’il y a lieu de tenir compte des droits garantis par les articles 6 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.  
 
Pour ces différentes raisons, le tribunal bulgare décide de surseoir à statuer et interroge la Cour européenne sur la question préjudicielle suivante : « Une législation nationale, qui, lors de la phase judiciaire de la procédure pénale, érige en condition l’existence d’un changement de circonstances pour qu’il soit fait droit à une demande de la défense tendant à la levée de la détention de la personne poursuivie, est-elle conforme à l’article 6 et au considérant 22 de la directive 2016/343 ainsi qu’aux articles 6 et 47 de la Charte » ?
 
La CJUE a décidé, le 1er octobre 2019, de faire droit à la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure préjudicielle d’urgence, prévue à l’article 107 du règlement de la procédure de la Cour.
 
Sur le fond, la CJUE précise que l’article 6 de ladite directive, organise la répartition de la charge de la preuve « visant à établir la culpabilité des suspects et des personnes poursuivies » et impose que tout doute sur la culpabilité profite à l’accusé ou à la personne poursuivie. L’établissement de la « culpabilité » doit être compris comme ayant « pour objet de régir la répartition de la charge de la preuve uniquement lors de l’adoption de décisions judiciaires statuant sur la culpabilité » précisent les juges.
 
Concrètement, une décision judiciaire devant statuer sur le maintien ou non d’une personne poursuivie en détention provisoire vise à trancher la seule question de la remise en liberté et non sa culpabilité. La décision judiciaire ayant pour objet l’éventuel maintien en détention provisoire, ne peut être qualifiée de décision judiciaire statuant sur la culpabilité selon la directive. La répartition de la charge de la preuve, dans le cadre de cette procédure, relève donc du seul droit national.
 
Concernant les articles 6 et 47 de la Charte, ils sont applicables uniquement quand les États membres mettent en œuvre le droit de l’Union. Ainsi, la répartition de la charge de la preuve dans le cadre d’une procédure comme celle en question, n’étant pas régie par le droit de l’Union, les articles ne sont pas applicables.
 
La CJUE répond et conclut alors que, « eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 6 de la directive 2016/343 ainsi que les articles 6 et 47 de la Charte ne sont pas applicables à une législation nationale qui subordonne la remise en liberté d’une personne placée en détention provisoire à l’établissement, par cette personne, de l’existence de circonstances nouvelles justifiant cette remise en liberté ».
Source : Actualités du droit